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alfred longpré


C’est le 20 décembre 1903 que M. Alfred Longpré, un simple artisan, arrive à Pembroke. Fier de sa langue et résolu à la voir survivre, M. Longpré en devient un défenseur acharné. C’est l’époque du règlement 17 qui interdisait, à toutes fins pratiques, l’enseignement du français à une heure par jour et ce, dans les seules classes du niveau primaire. Sur l’initiative de M. Longpré, le Cercle Lorrain, le nom du premier évêque de Pembroke, est fondé. C’est grâce à cette association, présidée sous peu par M. Longpré, que les droits des francophones ont su être revendiqués. La communauté francophone lui est redevable, comme elle l’est pour Mme Napoléon Lafrance ainsi que nombreuses autres personnes, pour la création d’une école libre où Jeanne Lajoie, l’héroïne de Pembroke, dispensera l’enseignement.
L’exemple de Pembroke a joué grandement dans l’abolition, en 1927, de l’infâme règlement 17. La bataille de Longpré et des siens avait porté fruit.
Alfred Longpré était d’une race noble et fière. Son patriotisme n’avait d’égal que sa foi. Le Club Richelieu Longpré de Pembroke n’a pas voulu que le nom « Longpré » se perde dans la nuit des temps.
Voici un article, tellement émouvant, écrit après la mort d’Alfred Longpré par Omer Héroux, paru  dans le journal Le Devoir en 1937 et intitulé : Le vieux Longpré :
La mort d’Alfred Longpré éveillera dans toutes les mémoires fidèles, chez tous ceux qui ont vécu la crise scolaire de l’Ontario, d’émouvantes images. Le vieux Longpré, comme l’on disait, joua sa partie dans un coin éloigné, qui paraissait presque perdu. Il y fut l’un des mainteneurs, puis l’un des héros de la résistance française.
Un jour vint où, dans cette ville de Pembroke, il fallut, à côté de toutes les écoles officielles, fonder une école libre. Ce fut l’œuvre d’Alfred Longpré et des amis magnifiques qui l’entouraient.

Il y a de cela quatorze ans, presque jour pour jour : c’était le 6 novembre 1923. Il faisait un temps sombre, pluvieux, qui enveloppait d’une singulière tristesse la ville de Pembroke. Pour installer l’école nouvelle, on n’avait qu’un local de fortune, qui révélait la plus magnifique générosité. Car, lorsque, du jour au lendemain, pour ainsi dire, on avait décidé de fonder l’école, c’est un brave Canadien français, M. Moïse Lafrance, qui avait dit : La maison est grande chez nous. Nous pourrons tout de suite recevoir les enfants et nous garderons la maîtresse…
Ce matin du 6 novembre nous suivions donc les petits qui s’en allaient vers la maison Lafrance. Ils croisaient leurs camarades, un peu étonnés, des écoles officielles. Les mamans, de braves femmes d’ouvriers, pour la quasi-totalité, les accompagnaient, les fortifiaient de leur présence. Les hommes étaient presque tous retenus au travail. M. Lafrance ne put faire à la maison qu’une brève apparition pour constater que tout allait bien. M. Longpré avait dû commencer plus tôt sa besogne – c’était, comme la plupart des autres, un modeste ouvrier – pour s’assurer quelques moments de liberté.

La petite maîtresse d’école, Jeanne Lajoie (de celle-là on peut raconter tout le bien qu’on pense, puisque Dieu l’a rappelée à lui), attendant les enfants dans la grande salle de la maison. On la disait douée d’un singulier don de persuasion et même d’un remarquable talent oratoire. Le vieux Longpré aimait à dire que, sans elle, il n’aurait pu rien faire. Ce matin-là, elle apparaissait extrêmement simple, toute prise par sa besogne, ne s’occupait que de ses élèves, qu’elle inscrivait et plaçait tout tranquillement, comme si elle eût ouvert sa classe dans les conditions les plus ordinaires. N’eût été la présence des parents, des visiteurs, qui occupaient la longue véranda et même l’escalier qui coupait la maison, on e¸ut pu se croire à la plus banales des rentrées : l’admirable petite maîtresse faisait de l’histoire certes, mais pas de théâtre.
Les enfants inscrits, classés, installés tant bien que mal dans le local où l’on avait dû ramasser à la hâte tous les meubles possibles, il fallut bien expliquer cette chose extraordinaire, cette fondation, à deux pas des écoles officielles, d’une école libre, qui coûterait nécessairement cher à des parents peu fortunés.

Le vieux Longpré, la voix haletante et saccadée, prit la parole. Il n’était point un lettré, encore qu’il possédât une solide instruction commune et il n’avait aucune prétention à l’éloquence; mais les quelques paroles qu’il prononça ce matin-là sont de celles qu’on ne saurait jamais oublier. C’est l’âme même d’une race qui vibrait dans ce discours sans apprêt, où éclataient des trouvailles.
Voyez la scène : un ouvrier qui s’adresse à des enfants d’ouvriers, dans un coin perdu, où les parents de ces enfants sont depuis longtemps en minorité, avec tous les ennuis que cela comporte.
Mais cet ouvrier connaît l’histoire, il voit l’avenir et alors, nous l’entendons qui dit aux petits enfants dont l’attention passionnée nous saisit tous : Mes chers petits, à deux pas d’ici, Champlain, les missionnaires, les explorateurs, les soldats ont passé…Nous sommes leurs héritiers! Nous devons conserver leur Foi, leur Langue! Abandonner l’une, ce serait trahir! Mes petits enfants, soyez fidèles…

Sur tous, grands et petits, cette évocation des anciens, dans un pareil cadre, fit passer un frisson.
Cet ouvrier vivait toute l’histoire de sa race. Quelque temps après, lorsque l’École Jeanne-d’Arc fut installée chez elle, le vieux Longpré s’en allait à Québec recueillir sur les plaines d’Abraham un sac de terre qu’il faisait bénir par le vénérable Cardinal Bégin et qu’il venait ensuite, à cent cinquante lieues de là, épandre dans la cour de son école, afin que les petits enfants de Pembroke pussent en jouant, y fouler une terre sacrée.
N’est-ce pas une pensée de grand poète? Un académicien français qui entendit raconter cette histoire en avait les larmes aux yeux.

Ce matin du 6 novembre 1923, il n’y avait à peu près quel les auteurs de cet acte admirable à avoir les yeux secs. Ceux-ci, enfants, petites maîtresses d’école, étaient de volonté trop tendue, trop absorbés par ce qu’ils faisaeint et par le souci de la bien faire, pour céder à d’autres émotions. Mais nous, les visiteurs, nous nous sentions baignés dans une atmosphère d’héroïsme inconscient et d’autant plus beau; dans une atmosphère de profonde générosité aussi. Ce qui se passait sous nos yeux était l’œuvre de beaucoup de gens, mais personne n’en voulait prendre le mérite. Tous louaient à l’envi le voisin ou la voisine.
En sortant de la maison, - car la cérémonie d’ouverture fut brève et, bientôt, nous n’entendîmes plus que la voix grande, quasi maternelle, de la jeune institutrice, qui commençait sa classe comme si rien d’extraordinaire ne se fut passé, - en sortant, le vieux Longpré nous dit : Il faudra essayer de nous aider. –Mais de quelles ressources disposez-vous? – J’ai quatre-vingt piastres, c’était le reliquat d’une quête locale et Charles Langlois a promis de nous aider…

C’est ainsi que s’engagea la bataille. Mais les sacrifices locaux ce multiplièrent, Charles Langlois (qui saura jamais ce que cet être de générosité et de courage a fait pour la minorité franco-ontarienne?) et d’autres ne trompèrent point les espérances que l’on avait fondées sur eux.
L’école vécut, l’école qui portait le nom de la Sainte d’Orléans et qui avait été inaugurée par la prière fameuse qu’en d’autres circonstances Pie X lui-même avait voulu bénir :
 
 
O Christ, ami des francs! Vous qui, par le bras d’une humble vierg, aves jadis sauvé la France, inclinez vers nous la grande miséricorde de votre Sacré Cœur. Nous vous en prions, par les mérites de l’intercession de la bienheureuse Jeanne d’Arc, que nous choisissons pour patronne, protégez nos institutions, notre langue et notre foi.
O Christ, notre Roi! Nous vous jurons fidélité éternelle! Faites que, nourris du pain de votre Sainte Eucharistie, nous croissions en un « peuple parfait » que nous méritions de continuer, sur cette terre d’Amérique, les glorieuses traditions de « la fille aînée de l’Église ».
O Dieu de Jeanne d’Arc, sauvez encore une fois la France! Sauvez notre cher Canada; et vous, bienheureuse Jeanne d’Arc, priez pour nous. Ainsi soit-il.

La fondation de l’école libre marquait dans la réaction française de Pembroke un point éclatant. Elle fut le principe de succès nouveaux, à des conditions normales, rentrer dans les écoles officielles.
Mais personne n’oubliera les services rendus par les courageux pionniers de 1923; personne n’oubliera que vers eux doit monter une éternelle gratitude.
Quand le vieux Longpré, si considérable qu’ait été pour lui cette magnifique aventure, elle restera tout de même un incident dans sa vie de patriote. Tout son travail antérieur l’y avait préparé : tout son travail postérieur en fut la suite et le complément, il voulait que les enfants de Pembroke fussent élevés à la catholique et à la française et qu’il se formât parmi eux une élite capable d’élever la masse. Il y a employé les suprêmes années de sa vie, s’efforçant de susciter des générosités nouvelles et d’amasser lui-même quelques ressources dans ce dessein.

Il nous faisait quelques fois l’honneur de nous rendre visite, en compagnie de la noble femme qui entoura de tant de dévouement ses derniers jours. Il était brisé par la maladie, mais deux thèmes éveillaient toujours chez lui d’ardents discours : l’hommage à ses anciens compagnons, qu’il aurait tous voulu mettre à l’honneur et dont il a inscrit les noms dans son Éveil de la Race; les rêves qu’il continuait de former, d’essayer de réaliser pour les jeunes de Pembroke.
Ni le temps, ni la fatigue, ni la maladie n’ont eu raison de cette âme ardente et de ce cœur de héro.
Alfred Longpré nous en voudrait, si nous ne joignions à son souvenir celui, non seulement de ses compagnons et de ses compagnes de Pembroke, mais aussi de tous ceux qui, à travers la province et le pays, ont mené en même temps que lui le bon combat.
Il y eut là des âmes admirables et qui surent s’élever à des magnifiques hauteurs.
Nous ne pouvons encore librement parler que des mots, mais lorsque la vérité entière s’écrira, on constatera que cette histoire est l’une des plus belles de notre vie nationale.

…Quand le vieux Longpré, disons bien que son ardeur patriotique n’avait de comparable que sa ferveur religieuse, que ces deux flammes chez lui jaillissaient côte à côte et, si l’on peut dire, s’alimentaient, se fortifiaient l’une l’autre. Il était complet, fidèle à toutes et à nos plus hautes traditions.
Comme La Vergne mourant, le vieux Longpré aurait sûrement demandé à tous ceux qui l’ont aimé l’aumône d’une prière. On ne saurait offrir à son humble mais vénérable mémoire un plus bel hommage et qui s’accorde d’avantage avec sa vie.
 Le Devoir, 10 novembre 1937, page1.
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Alfred Longpré, L'éveil de la race : un épisode de la résistance franco-ontarienne (Pembroke, 1923-27), Les Éditions du Droit, Ottawa, 1930, page couverture.

 

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